A l’occasion de la journée internationale de la femme, l’ACRF a attiré l’attention des médias sur cette question. Plusieurs interviews de Brigitte Laurent, secrétaire générale de l’ACRF ont été diffusée dans les informations radio du matin du 8 mars 2006 à la RTBF et l’article suivant a été publié dans notre revue « Plein Soleil » de mars 2006.

Pauvre donc exclue

Plus de 1,5 million de personnes en Belgique, soit 15 % de la population, vit sous le seuil de pauvreté, défini par un revenu de 772 € pour un isolé, lisait-on dans la presse récemment. La pauvreté a une dimension monétaire, c’est évident, mais celle-ci ne doit pas en masquer d’autres facettes. Elle concerne tout autant l’accès à l’emploi, les privations en matière d’enseignement, de soins de santé, de logement, de justice, l’absence de participation aux processus de décision et à la vie civile, sociale et culturelle.

Le phénomène est loin d’être marginal, il existe autour de nous et ne disparaîtra pas parce que nous fermons les yeux. Plusieurs instances très officielles ont récemment tiré la sonnette d’alarme, estimant que la dimension de genre est trop souvent oubliée en cette matière.

La gent féminine plus exposée au risque de pauvreté

Le Comité économique et social européen (CESE) vient de lancer un appel pour que la lutte contre la pauvreté des femmes reçoive une plus grande attention. Dans un avis intitulé « La pauvreté chez les femmes en Europe », adopté en septembre 2005, le CESE souligne qu’un nombre bien plus élevé de femmes que d’hommes vit cette situation en Europe.

Les femmes sont généralement plus exposées au risque de vivre dans un ménage pauvre : ainsi, en 2001, 16% de la population féminine adulte disposait d’un revenu inférieur au seuil de pauvreté, contre 14% des hommes de la même tranche d’âge. Cette répartition se retrouve dans tous les États membres.

L’emploi est considéré comme un facteur clé de l’inclusion sociale, c’est aussi le moyen le plus efficace pour sortir de la pauvreté. Mais, selon le CESE, bien que le taux de participation des femmes au marché de l’emploi se rapproche désormais de celui des hommes, les femmes ayant un emploi rémunéré ne sont pas pour autant prémunies contre tout risque de pauvreté.

De nombreuses discriminations sur le marché du travail

Au sein de l’Union européenne aujourd’hui, trente ans après la directive de 1975 sur l’égalité des rémunérations, les femmes gagnent aujourd’hui en moyenne européenne à peine 85% du salaire horaire de leurs homologues masculins. Dans de nombreux pays, ce pourcentage peut descendre jusqu’à 77%. C’est inacceptable !

Discriminations femmes-hommes en matière d’emploi avec incidence sur le risque de pauvreté

  • A travail égal, salaire inégal
  • Plus de difficultés à accéder aux emplois stables
  • Plus nombreuses dans des secteurs d’activités peu rémunérateurs
  • Plus confrontées à la conciliation des tâches professionnelles et familiales
  • Davantage concernées par le manque de places d’accueil pour la petite enfance
  • Pour raisons familiales, plus d’interruptions de carrière (avec répercussions sur le montant des revenus et de la pension)
  • Plus nombreuses à connaître le chômage de longue ou de très longue durée
  • Exerçant plus souvent un travail non rémunéré à domicile

La plupart des femmes interrompent leur vie active au moins pendant une partie de leur vie. Or, une interruption de carrière peut avoir des effets négatifs sur les revenus. En effet, lorsqu’une femme quitte provisoirement le marché de l’emploi pour prendre en charge un enfant, elle peut ultérieurement être confrontée à un emploi moins stable. Les augmentations salariales sont souvent accordées à ceux qui ne connaissent pas d’interruption de carrière pendant plusieurs années.

Le nombre de parents isolés a augmenté et les données montrent qu’ils sont particulièrement exposés au risque de pauvreté. Étant donné que 85% des parents isolés sont des femmes, ce risque concerne plus les femmes. L’absence de possibilités abordables de garde d’enfants ne constitue pas le seul obstacle au travail de parents isolés. Ceux qui sont sans travail sont généralement dépourvus de qualifications exploitables sur le marché du travail ; ils ont tendance à se concentrer dans les zones géographiques où la demande d’emploi est faible ; ils sont plus susceptibles d’avoir une santé fragile ou d’avoir un enfant ou un parent malade ou handicapé à la maison, ce qui restreint ses opportunités de travail. Par ailleurs, beaucoup d’entre eux doivent le plus souvent s’occuper eux-mêmes de leurs enfants. Bon nombre d’entre eux sont alors se rabattre sur des emplois précaires, moins protégés et mal payés.

L’augmentation de la participation des femmes au marché du travail s’accompagne de l’augmentation de formes de travail atypiques, dont le travail à mi-temps, à horaires flexibles, posté et à durée déterminée. En moyenne, dans les pays de l’Union Européenne, 27% des femmes travaillent à mi-temps, contre à peine 4% des hommes.

D’une façon générale, les taux de chômage de longue durée dans l’UE sont plus élevés chez les femmes (4,5%) que chez les hommes (3,6%).

Le travail que les femmes effectuent au sein du foyer demeure non rémunéré. Les courses, la charge d’enfants et de parents âgés sont toujours perçues comme des activités inhérentes aux responsabilités des femmes, même lorsqu’elles occupent un emploi rémunéré, les hommes se chargeant de moins de 40% de l’ensemble des tâches ménagères et de seulement 25 à 35% des soins prodigués aux enfants.

Des répercussions au moment de la retraite

Les désavantages que les femmes rencontrent sur le marché du travail et l’écart salarial qui en résulte sont également valables pour la retraite. Deux tiers des pensionnés sont des femmes et leur revenu moyen équivaut à 53% de celui des hommes, cette différence pouvant avoir des conséquences sur leur santé, leur logement et leur qualité de vie. Les femmes représentent 75% de ceux qui perçoivent une aide sociale au revenu. Les femmes âgées, y compris les veuves et les divorcées, grossissent les rangs des retraités les plus pauvres.

La violence conjugale et son incidence sur le risque de pauvreté

Le 15 septembre 2005, la Commission Droits des Femmes du Parlement européen (PE) a adopté un rapport d’initiative . Le rapport en question a donné lieu le 13 octobre 2005 à l’adoption par le PE de la résolution sur les femmes et la pauvreté dans l’Union européenne.

Dans cette résolution, le PE regrette que, malgré la volonté politique de combattre la pauvreté et l’exclusion sociale au moyen de stratégies communautaires, notamment la Stratégie de Lisbonne et l’Agenda pour la politique sociale, l’Union n’ait pas suffisamment traité sa féminisation. Le Parlement européen reconnaît aussi que le seul fait d’avoir un emploi ne constitue pas un rempart suffisant et que plus de femmes que d’hommes travaillent pour des salaires plus faibles, en particulier du fait de la ségrégation à l’emploi, tandis que, bien souvent, l’aide sociale, elle non plus, ne protège pas de la pauvreté. Le Parlement Européen déplore également le fait qu’il n’y a pas eu de progrès réel dans l’application du principe « A travail égal, salaire égal ».

Le Parlement, sur la base de ce rapport, attire l’attention sur le problème de la violence exercée, dans le milieu familial, contre les femmes : il perturbe leur santé mentale, les isole sur le plan social et diminue leur rendement professionnel, d’où en découlent des conséquences négatives pour leur position dans leur milieu de travail. Une proportion importante des femmes sans logis sont des femmes qui ont quitté le toit familial à cause de la violence dont elles étaient victimes et se sont retrouvées à la lisière de la misère et de la pauvreté sociales. Ce lien entre les violences faites aux femmes et pauvretés parmi les femmes est important à souligner.

Une exposition accrue pour les femmes issues de minorités

Le Parlement européen souligne aussi que les femmes appartenant à des minorités nationales ou religieuses subissent – non seulement en raison de leur sexe, mais aussi en raison de leur origine ou confession – une double discrimination, qui les empêche, dans nombre de cas, de trouver un emploi. Du fait de cette situation, ces femmes soit sont dépendantes de leur conjoint et vivent dans la misère, soit sont contraintes de travailler illégalement, sans couverture sociale et dans des conditions déplorables. Les situations de misère incitent à la traite des femmes, à la prostitution, à la violence et, plus généralement, à tout type d’exploitation.

Une indispensable vigilance

On le voit, le chantier de lutte contre la pauvreté des femmes est vaste et il est temps de s’y atteler, sans tabou, et d’y porter une vigilance accrue dans nos villages. Il faut assurer des moyens de subsistance aux femmes durant toutes les phases de leur existence, soutenir la qualité de leur emploi et combler le fossé en matière de revenus.

Françoise WARRANT (Chargée d’études ACRF)

Pour en savoir plus, voir l’analyse de 11 pages de l’ACRF 2005-29 : la pauvreté, un effet de genre